AIR DU TEMPS

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er septembre 2023

Italie

Nous n’envisageons que deux voies herméneutiques

pour bâtir l’Europe : la culture et l’économie…

La culture est en chute libre et l’économie a perdu de vue le bonheur de l’homme.

Paolo RUMIZ, Le fil sans fin

Résumé : L’Italie, à la très longue Histoire, est l’un des pays fondateurs de l’Europe. La péninsule italienne y occupe une position unique, sans cesse torturée par les mouvements de plaques tectoniques. Elle est aujourd’hui confrontée à deux challenges majeurs. Victime d’un véritable « hiver démographique », sa population diminue. Dirigée par un gouvernement climatosceptique, elle doit réussir à atteindre la neutralité carbone dans les prochaines décennies.

Florence, Sienne, Rome, Naples, Venise… j’ai souvent parcouru l’Italie pour des rencontres scientifiques ou culturelles. Pays très attirant pour les touristes, elle est parfois victime d’excès comme à Venise, menacée de submersion.

Figure 1. La lagune de Venise (à gauche). Une cité menacée de submersion pour avoir trop pompé l’eau de son sous-sol et pour laisser passer les énormes navires de touristes qui affouillent les berges de la place Saint-Marc. Contre la submersion elle a désormais recours au système « Mose » (à droite) subventionné par l’Europe. Ce système, formé de rangées de vannes mobiles escamotables, permet d’isoler la lagune de la mer Adriatique en cas de haute mer de vive-eau, jusqu’à un niveau maximum de 3 mètres (crédits : Paul Tréguer et Wikipedia).

Une péninsule unique en Europe

A travers sa longue Histoire l’Italie s’est toujours trouvée au cœur du monde méditerranéen, à la confluence des influences européenne et moyen orientale. On a envie d’écrire que ceci s’explique par sa géologie (Figure 2). En effet, « l’Italie est environnée par les Alpes et par la mer. Ses limites naturelles sont déterminées avec autant de précision que si c’était une île », souligne Napoléon Bonaparte (mémoires inédites publiés en 2010).

Abritée au nord par l’arc massif des Alpes, bâti autour de l’arête dorsale des Apennins, la botte italienne semble donner un coup de pied dans une île volcanique, la Sicile. Elle est sans cesse torturée par les mouvements des plaques tectoniques. Au sud, la plaque africaine exerce une forte poussée sur la plaque eurasienne, le long d’une faille qui traverse notamment la Calabre et la Sicile. Au nord, la plaque eurasienne se heurte, dans un sens est-ouest cette fois, à la microplaque Adriatique, qui longe le flanc oriental de la péninsule, des Pouilles au sud des Alpes (Figure 2). Selon Andrea Moscariello, professeur au Département des Sciences de la Terre de l’Université de Genève, la mer Tyrrhénienne, située entre la péninsule et la Sardaigne, s’élargit, tandis que la mer Adriatique, située entre la péninsule et la Croatie, se rétrécit. L’Italie, terre de séismes, est un peu le Japon (voir Air du temps du 1er juillet 2022) de l’Europe.

Figure 2 : A gauche : la péninsule italienne (crédit : maps-for-free). A droite : les plaques tectoniques qui déterminent le devenir de l’Italie (crédit : IPG).

Sa géologie contrastée, qui s’étale du 36ème au 46ème parallèle nord, n’a guère favorisé la naissance d’une nation, longtemps fragmentée en plusieurs états indépendants. Il faut attendre 1861 pour voir la réunification du pays, et 1870 pour la naissance d’un royaume italien unifié sous la houlette de Victor-Emmanuel II, avec Rome comme capitale.

En ce début du 21ème siècle, l’Italie, dont la surface représente 55% de celle du territoire français, est presque aussi peuplée que la France (87% de la population française). Comme l’Allemagne (Air du temps du 1er juin 2023) et l’Espagne (Air du temps du 1er juillet 2023), elle est confrontée à deux défis majeurs : climatique et démographique.

Un négationnisme climatique…

Olivier Bonnel, correspondant du quotidien français Le Monde (1), rapporte que la journée du 18 juillet 2023 a été particulièrement torride sur une grande partie de la péninsule : 42°C à Rome, 46,3°C à Licata, petit port de Sicile. Une alerte rouge de canicule a dû être émise pour vingt villes italiennes, de Venise au nord à Bari au sud. Cet été, la mer Méditerranée a enregistré des températures anormalement élevées, supérieures aux normales de saison. L’observatoire Keraunos a mesuré une eau à 30,7 °C au large de la Corse…

Face à ce nouvel épisode climatique extrême, l’extrême droite au pouvoir en Italie est engoncée dans un négationnisme climatique. Elle se contente de mesures d’urgence sans mettre un place une véritable stratégie d’adaptation au changement climatique en cours. La question écologique est plus que jamais absente du débat public, souligne Olivier Bonnel. Pourtant le déficit hydrique engendré par ce changement devient de plus en plus critique pour l’agriculture italienne. Ainsi, la saison 2018/2019 s’est signalée par la pire récolte d'olives depuis 25 ans et l'Association des agriculteurs italiens parle d'un « effondrement de l'huile d'olive ». En Sicile, les cultures indigènes d’oranges et d’olives ont dû être remplacées par celles de plantes tropicales telles que la mangue ou l'avocat. Impact hydrique du changement climatique, à terre et élévation du niveau de l’eau, en mer. Treize des quinze sites italiens du patrimoine mondial de l'UNESCO, situés dans les régions côtières de basse altitude, sont menacés par l'érosion côtière.

Comment se situe l’Italie en matière de transition énergétique ?

Figure 3. L’évolution de la production d’énergie depuis 1950 en Italie. Bleu : importations, Jaune : photovoltaïque, vert : éolien, rouge : nucléaire, bleu pâle : géothermie, marron : électricité thermique (à partir de combustibles fossiles), beige : hydroélectricité (crédit : Wikipedia Italia, (2)).

La consommation intérieure d'énergie primaire par habitant était en 2019 supérieure de 31 % à la moyenne mondiale, mais inférieure de 31 % à celle de la France. Elle provient en 2021 à 81,6 % des énergies fossiles (gaz naturel : 41 % ; pétrole : 36,9 % ; charbon : 3,6 %) surtout utilisées dans les transports, le chauffage et l'industrie. Pour couvrir cette consommation d’énergie, l'Italie est en fait très dépendante des importations : 74 % de l'énergie consommée en 2018 provenait de l'étranger.

Les émissions de CO2 liées à la production d’énergie atteignaient un peu plus de 5 tonnes par habitant en 2019, supérieures de 17 % à la moyenne mondiale et de 18 % à celles de la France, mais inférieures de 34 % à celles de l'Allemagne.

Comme l’ensemble des pays européens, l’Italie a de gros efforts à faire pour atteindre la neutralité carbone. Elle sait cependant tirer parti de ses spécificités. Si sa forte sismicité est un inconvénient majeur, par rapport à la France, à l’Allemagne, et à l’Espagne, elle possède un fort potentiel en matière d’énergie géothermique (voir encadré) et d’énergie solaire.

À la suite d'un référendum approuvé par 62 % de la population, l'Italie a renoncé à l'utilisation du nucléaire civil en 1987. C’est une sage décision dans un pays à forte sismicité, Elle a été acquise à la suite de trois référendums et les quatre réacteurs en service ont été progressivement arrêtés jusqu’en 1990. Une décision qui ne plait décidément pas à la nouvelle présidente du Conseil, Giorgia Meloni. La motion votée le 9 mai 2023 par la Chambre des députés prévoit un possible retour de l’atome, ce qui serait irresponsable.

L’Italie : un potentiel géothermique exceptionnel en Europe

Au niveau mondial, l'utilisation de l'énergie géothermique affiche une courbe ascendante où l'Italie caracole en tête. Aujourd'hui, au niveau mondial, plus de 20 pays tirent une partie de leur courant électrique des couches aquifères dont les températures peuvent atteindre de 180 à 350 degrés centigrade. « Entre 1995 et 1999, ce secteur s'est développé de façon continue passant de 6,8 à 8 GWe. Il s'agit d'une progression remarquable de 16,6 pour cent… " (3).

En Italie, plusieurs volcans sont actifs: l’Etna en Sicile, le Vésuve qui domine Naples (et Pompéi), les champs Phlégréens situés dans le golfe de Pouzzoles, etc. Elle a donc logiquement développé l’exploitation de la géothermie comme un élément essentiel de son économie. C'est en fait le seul pays de l'Union européenne, exception faite du Portugal, à disposer d'un potentiel géothermique élevé. En Italie, il existe actuellement au moins 1 GW (gigawatts) d'électricité renouvelable provenant de la production géothermique, représentant 6,2 térawattheures (TWh) par an. La géothermie alimente 2,1 % de la production d'électricité italienne se se situe au 6e rang mondial.

A noter qu’au sein de l'Union européenne, en sus de l’Italie, d’autres pays sont d’importants producteurs d’énergie géothermique, dont l'Allemagne, avec une production de 517 mégawatts thermiques (MWth), la Suède avec 377 MWth. La France a produit 326 MWth en 1999.

De grands progrès à faire en matière d’énergies renouvelables

En matière d’énergies renouvelables l'Italie, est de longue date pionnière dans l'exploitation de l'hydroélectricité (elle lui fournit 15 % de son électricité en 2021).

Elle a plus récemment développé les autres énergies renouvelables (Figures 4 et 5) qui produisent 70,3 TWh en 2020, contre 63,5 TWh en 2015. Elle s’engage résolument dans cette direction avec de nombreux projets solaires et éoliens.

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Figure 4. Rovereto : panneaux photovoltaïques le long de l'autoroute Brenner-Modène (crédit : Wikipedia).

Energie solaire : Le potentiel solaire de l’Italie est particulièrement important pour sa moitié sud où il dépasse 1 500 kWh/m2 (1 800 kWh/m2 pour la Sicile). La capacité installée en 2020 était de 21 GW.

Fin 2020, selon l'Agence internationale de l'énergie, la puissance installée cumulée des capteurs solaires thermiques en Italie atteignait 3,5 GWth, au 10e rang mondial. Cependant la puissance solaire thermique par habitant était de 56 Wth seulement, contre 460 Wth à Chypre, 370 Wth en Autriche, 260 Wth en Chine et 161 Wth en Allemagne. Les installations de 2020 se sont limitées à 86 MWth contre 450 MWth en Allemagne.

Une nouvelle accélération de sa transition énergétique sera impulsée avec l'usine de panneaux photovoltaïques Enel Green power 3Sun à Catane en Sicile. Elle permettra de multiplier par 15 la capacité de production annuelle, passant à 3 gigawatts d'ici à la mi-2024.

L'énergie éolienne (Figure 5) est devenue une source d'énergie importante en Italie : elle produisait 8,7 % de l'électricité du pays en 2021. L’Italie se classe en 2022 au 6e rang des producteurs éoliens de l'Union européenne (UE).

Figure 5. Le parc éolien de Macchiareddu à Capoterra (Sardaigne) (crédit : Wikipedia).

Le premier parc éolien en mer italien a été mis en service en 2022 : Beleolico (30 MW), au large du port de Tarente. Plus de 60 GW de projets éoliens en mer sont recensés.

La bioraffinerie de Venise, première raffinerie au monde reconvertie en 2014 aux sources végétales, a une capacité de production de biodiesel de 360 000 tonnes/an à partir d'huiles alimentaires usagées et d'huile de palme ; cette capacité sera portée à 420 000 tonnes/an en 2021, à laquelle s'ajoutera la bioraffinerie de Gela (600 000 tonnes/an).

Un hiver démographique…

L'Italie vit une grave crise démographique. Malgré un nombre record d'immigrants, sa population totale diminue. L’avenir est plutôt sombre. En effet, en l’absence d'immigration ou de rebond de la natalité, la population de l'Italie devrait diminuer de 16 millions d'habitants d'ici 2050 (4) et pourrait passer de 61 à 31 millions d'habitants en 2100 ! (5).

Figure 5. La croissance annuelle de la population a tendance à décroître en France (en vert) . En Grèce (en jaune) et particulièrement en Italie (en bleu), cette croissance est devenue négative (crédit : Banque mondiale).

La part de l'immigration dans le renouvellement de la population progresse en Italie. Longtemps pays à forte natalité dont les jeunes devaient émigrer pour éviter le chômage, en près de 20 ans, l'Italie est devenue un pays où le taux de natalité est très bas, inférieur certaines années au taux de mortalité. C’est donc un pays vieillissant qui accueille de plus en plus d'immigrés (4 millions, dont 1 million en situation irrégulière début 2007, soit 7 % de la population, provenant surtout des régions de la Mer Méditerranée et de la mer Noire, c'est-à-dire des Balkans et de l'Europe du Sud-Est).

Figure 6. En proportion de sa population totale l’Italie comprend moins de migrants que la France et l’Allemagne. Les chiffres rapportés ici (crédit : Eurostat mars 2021, et Annick Cléach, SMLH) peuvent être différents de ceux des sources citées dans le texte

Dans la présente décennie, l’Italie est aux premières lignes dans l’afflux d’immigrés vers l’Europe. Selon les données de l'Istituto nazionale di statistica (ISTAT), elle compte lors du dernier recensement décennal, au 9 octobre 2011, 59 464 644 habitants. En 2019, sa population est estimée à 60 millions d'habitants, ce qui en fait le quatrième pays de l'Union européenne par son poids démographique (6). En proportion de sa population totale le pourcentage d’habitants issu de l’immigration se situe cependant à un niveau inférieur à la moyenne européenne (Figure 6).

« Jamais depuis l’unification du pays en 1861 le nombre de naissances n’avait été aussi bas» (7), écrit Olivier Bonnel, correspondant du Monde. C’est pour conjurer un véritable « hiver démographique », que les « états généraux de la natalité » ont été créés. Ils rassemblent responsables politiques, de toutes tendances, et dirigeants économiques. La politique nataliste du gouvernement italien est désormais volontariste : allongement du congé parental d’un mois, payé à hauteur de 80 % du salaire, et incitations fiscales pour les jeunes dans l’achat d’un premier logement. Depuis mars 2022, un « chèque universel unique », forme d'allocation familiale, est versé pour chaque enfant du septième mois de grossesse à 21 ans, dans le but de relancer la natalité.

Le vieillissement de la population (l'augmentation de la part des personnes âgées) est la conséquence de la chute de la natalité et de l'allongement de l'espérance de vie. Il pose la question de la prise en charge des personnes âgées. « Le phénomène des badanti, auxiliaires de vie souvent immigrées vivant au domicile des personnes âgées, peut être vu comme l'une des réponses au défi du vieillissement », d’après (7).

Où va l’un des pays fondateurs de l’Europe ?

Le 25 mars 1957, l’Italie, avec l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas signe à Rome le traité de création de la Communauté économique européenne (CEE, et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom). Ces nouvelles communautés sont alors un facteur de renforcement économique pour les Etats membres. Depuis 1957, cette nation est passée par de nombreuses turbulences : "années de plomb" des années 1970 (marquée par de nombreux attentats commis par l'extrême gauche comme par l'extrême droite), influence de la maffia au sein de la classe dirigeante, des partis politiques et du patronat (elle culmine dans les années 90), renforcement de la droite avec l’arrivée au pouvoir en 2001 de la coalition de Silvio Berlusconi, puis de l’extrême droite néofasciste avec Giorgia Meloni depuis 2022.

L’évolution économique et politique de l’Italie est suivie de près par les autres pays européens, en particulier depuis l’établissement en 2019 d’un partenariat formel avec la Chine pour un programme d’investissements chinois dans les infrastructures (notamment dans les ports de Gênes et de Trieste), les secteurs de l’énergie, de l’aéronautique et des télécommunications

Références

Olivier Bonnel, Le Monde, 19 juillet 2023
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=13320158
https://www.mordorintelligence.com/fr/industry-reports/geothermal-energy-market
Anthony Browne, « Non-whites will be majority in US and Europe by 2050 », The Observer,‎ 3 septembre 2000 (ISSN 0029-7712, lire en ligne [archive], consulté le 21 octobre 2019)
« Il y aura 8,8 milliards d'humains en 2100, selon une nouvelle étude », Le Temps,‎ 15 juillet 2020 (ISSN 1423-3967, lire en ligne [archive], consulté le 17 août 2020)
Cecilia Fortunato et Elena Ambrosetti, « La population italienne depuis 1861, histoire d’un renversement démographique » [archive], sur Géoconfluences, 6 février 2020
Olivier Bonnel, Le Monde, 6 juillet 2023